Cas pratique : le témoignage d'Héloïse
Une situation délicate à gérer
« J’ai repris une patientèle dont un petit patient avec qui j’ai bien avancé. À mon sens, il est temps d’arrêter le suivi en orthophonie et de passer le relais à une structure plus large, avec des groupes thérapeutiques. Je commence donc à évoquer la transition avec la mère.
Elle m’expose deux problèmes :
- le plus honnête, je n’ai rien à redire, elle est épuisée par les suivis qu’elle doit organiser pour son enfant depuis plusieurs années, elle n’en peut plus.
- « On » lui a dit qu’elle garderait ses aides financières si elle continuait à venir en séances d’orthophonie avec moi.
Après appel aux différentes structures, je réalise aussi que le centre a une connotation plus difficile (handicap, TSA, etc) qu’un suivi classique en libéral. Il a de toute manière refusé sa place.
Reste que de mon côté : je ne sais plus quoi faire d’utile. Je n’arrive pas à communiquer efficacement, et cerise sur le gâteau, je culpabilise de potentiellement mettre en difficultés financières cette famille. »
Le dilemme
Le témoignage d’Héloïse soulève de vraies questions :
- Que faire quand un suivi stagne ?
- Se former davantage, est-ce une solution envisageable ?
- Faut-il adapter notre décision thérapeutique aux considérations personnelles des patients ?
Que faire quand un suivi stagne ?
Quand on sent qu’un suivi n’avance plus en orthophonie, il y a plusieurs pistes à explorer avant de prendre une décision.
1. Faire un état des lieux précis
- Objectiver la stagnation : Depuis quand le suivi semble-t-il bloqué ? Quels éléments concrets te font dire que ça n’avance plus (ligne de base, observations, réactions du patient, feed-back du parent) ?
- Faire un bilan de renouvellement (même si ce n’est pas précisément le moment) pour te baser sur des éléments objectifs. Évidemment, tes observations cliniques sont fondamentales, mais elles pourraient être influencées par ta lassitude face à un suivi qui dure depuis longtemps.
- Analyser l’implication du patient : Motivation en baisse ? Fatigue ? Manque d’adhésion aux exercices ?
- Observer l’environnement : Changements dans la vie du patient qui pourraient avoir un impact (école, famille, stress) ?
2. Revoir l’évaluation et le projet thérapeutique
- Fixer de nouveaux objectifs : Peut-être que les objectifs fixés sont trop ambitieux, ou au contraire pas assez engageants.
- Faire le point avec le patient et sa famille sur les attentes et les besoins au quotidien pour t’assurer du caractère “écologique” de votre projet de soin.
3. Changer d’approche thérapeutique
- Varier les supports : Parfois, un simple changement de matériel peut relancer la motivation.
- Faire une analyse de pratique avec une ortho formée pour prendre du recul sur le suivi et faire un pas de côté qui pourrait permettre de relancer la machine. Parfois même une discussion informelle avec sa collègue de bureau peut lever un “blocage” que l’on rencontre dans un suivi.
- Passer à des objectifs thérapeutiques sur le court terme avec des pauses régulières. Cela favorisera (pour l’ortho et l’enfant) le sentiment de progression.
- Mettre en place un suivi visible : Graphiques d’évolution, badges de réussite, système de récompense.
- Envisager de passer le relais à une collègue qui poursuivrait le suivi avec un nouveau souffle ou d’intégrer le patient à un suivi de groupe.
4. Impliquer davantage le patient et l’entourage
- Renforcer la collaboration avec les parents/profs : En échangeant davantage avec l’entourage du patient (famille, enseignant, autres pros de santé), on favorise le transfert des apprentissages en dehors du cabinet, condition sine qua none pour un changement durable.
- Donner du sens aux exercices : Impliquer davantage le patient dans le choix des objectifs thérapeutiques et lui expliquer clairement pourquoi (et comment) on fait telle ou telle tâche l’aidera au quotidien.
5. Accepter et comprendre les plateaux de progression
- Normaliser les périodes de stagnation : Elles font partie du processus d’apprentissage.
- Travailler autrement pendant cette phase : Développement d’autres compétences en parallèle, consolidation des acquis.
- Se donner du temps : Parfois, le déclic vient après une pause.
Se former ?
La formation peut être une option, mais pas dans ce cas précis : se former de manière « précipitée », pour un patient en particulier serait une mauvaise idée. Cela ne changera probablement pas la nécessité d’arrêter le suivi en orthophonie.
Les formations ont toujours un coût
Le déplacement pour les formations en présentiel, le temps investi… Ce coût nécessite d’être au moins en partie « rentabilisé » par l’utilisation que l’on en fera sur le court, moyen ou long terme. Si tu te formes de manière précipitée ( = non réfléchie) pour un unique patient, tu risques d’être à perte.
Se former n'est pas toujours la réponse
Te former n’entraînera pas forcément une amélioration de la suite du suivi. Parce que tout ne dépend pas de toi malheureusement, tu n’as pas toutes les cartes en main. Tu risques alors d’être déçue si le suivi ne bouge pas d’un millimètre ou si le patient s’arrête du jour au lendemain sans raison qui te semble valable.
Tu as déjà les bons outils
Si le suivi n’avance plus, ce n’est peut-être pas une question de compétences ou de formation. Tu as probablement déjà tout ce qu’il faut pour aider ton patient. Si les progrès sont à l’arrêt, c’est souvent lié à d’autres facteurs extérieurs : manque de motivation, contraintes familiales, ou simplement une évolution qui prend plus de temps. Se former peut être utile sur le long terme, mais ce n’est pas forcément la clé pour débloquer la situation actuelle.
Faut-il adapter notre décision thérapeutique aux considérations personnelles des patients ?
Un point qui peut s'avérer délicat
Certains patients ou parents peuvent vouloir maintenir le suivi pour des raisons personnelles (comme des aides financières, la pression sociale, la peur du changement).
Il pourrait être intéressant de creuser avec cette patiente ce qu’elle entend par la perte d’aide financière en cas d’arrêt du suivi. Se pourrait-il qu’il y ait eu une incompréhension ?
Doit-on adapter notre décision à ces facteurs ?
La réponse est non ! Notre rôle d’orthophoniste est de proposer un suivi pertinent, et non de le maintenir pour des raisons qui sortent du cadre thérapeutique. Sinon, les patients pourraient utiliser tout un tas de raison pour te faire plier et modifier tes décisions professionnelles.
Imagines-tu devoir continuer un suivi parce que :
- « Si vous arrêtez, ça va me faire retomber en dépression. »
- « Si vous arrêtez, mon mari va être très fâché et risque d’être violent avec moi. »
- « Si vous arrêtez, je vais être obligée de laisser mon enfant à ses grands-parents. »
Évidemment, toute personne qui te dirait des choses pareilles serait probablement dans une profonde détresse et il serait important en tant qu’humain et professionnel de santé de savoir être à l’écoute et de rediriger vers les professionnels adaptés (assistante sociale, psychologue, psychiatre, centre pour femmes battues, déclaration d’une information préoccupante).
Quand arrêter un suivi en orthophonie est la bonne décision
Savoir être à l’écoute et rediriger vers les professionnels adaptés, c’est important. Les situations difficiles / compliquées existent, mais elles ne doivent pas influencer ta décision thérapeutique ou t’inciter à ne plus mettre en pause le projet de soin.
Si, malgré toutes tes tentatives d’adaptation, le suivi ne bouge plus depuis des mois, c’est peut-être le signe qu’il faut faire une pause ou passer le relais, quoi qu’en pense la famille.
Et ce n’est pas parce que la décision est difficile à prendre, que ce n’est pas la bonne décision !
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Pour continuer la réflexion : La dernière séance : comment bien terminer une prise en soin orthophonique? (DUMAS – mémoire de soutenance)